Himalaya du Népal

 

 


Babu Chhiri Sherpa

Parmi les héros de l'Everest, les Sherpas occupent une place à part. Les uns se démarquent par leurs nombreux exploits personnels. Les autres, non moins importants, par le rôle effacé mais essentiel qu'ils exercent au sein des expéditions. Il y a aussi ceux qui se distinguent tout simplement par leur manière d'être. Babu Chhiri Sherpa était de ceux-là. J'ai eu le privilège de le côtoyer pendant un mois lors de mon trekking au camp de base de l'Everest. Malgré sa réputation de grand champion de l'Everest, il avait alors accepté d'agir comme sirdar (chef d'expédition) de notre trekking en autonomie complète.

Babu Chhiri SherpaUn self made man

Babu est né en juin 1965 dans le village de Taksindu-Chhulema au Khumbu. N'ayant reçu aucune instruction formelle, il passa sa jeunesse à prendre soin des bêtes composant le cheptel familial. Il travailla ensuite comme porteur, cuisinier et guide de trekking. Vite remarqué par les professionnels de la montagne, il se joignit à plusieurs expéditions alpines pour accompagner les alpinistes sur plusieurs hauts sommets himalayens tels le Cho Oyu, l'Ama Dablam, le Kanchenjunga, le Shista Pangma, le Dhaulagiri et enfin l'Everest qu'il escalada à plusieurs reprises par différentes voies, tant sur la face népalaise que tibétaine. Son efficacité, son endurance et sa détermination firent de lui l'une des figures dominantes de l'univers de la haute montagne.

Plus grand que nature

Babu était détenteur de plusieurs records sur l'Everest. Le 6 mai 1999, il resta 21 heures 30 minutes au sommet sans oxygène. Avant cet exploit, personne ne croyait vraiment qu'un être humain puisse survivre aussi longtemps dans un milieu aussi pauvre en oxygène. À peine 30 % de l'oxygène disponible au niveau de la mer. L'année suivante, Babu établit un nouveau record le 21 mai en grimpant du camp de base au sommet en 16 heures et 56 minutes. Ce record a été dépassé depuis. Avec Ang Rita Sherpa et Apa Sherpa, Babu fait partie de ceux qui ont atteint le sommet de l'Everest plus de dix fois.

D'une grande simplicité

Par delà ses exploits, qui à eux seuls suffiraient à attirer respect et admiration, cet homme de petite taille, au ventre rond et toujours souriant, était désarmant de simplicité. Venant tout juste de réaliser un record sur l'Everest et ayant en tête d'autres projets, il était pourtant totalement présent avec nous, jour après jour, sur les sentiers du Khumbu, soucieux du bien-être de chacun et désireux que le trekking réponde en tous points aux attentes de l'équipe. Dans une dure montée, alors qu'il avait pris soin de nous regrouper, combien de fois Babu s'est il approché d'un trekkeur pour l'encourager ! Sur certains parcours, alors que chacun y allait à son rythme et que le groupe s'étirait sur une longue distance, Babu fermait la marche afin de s'assurer que toute la meute rentrerait au camp en fin de journée.

Travailleur et enjoué

Babu était étonnant. Il faisait corps avec son équipe. Au moment des repas, il se joignait aux aides-cuisiniers, mettait les mains à la pâte en faisant le tour de la table avec eux pour servir les assiettes. Pendant le dîner, nous conversions avec lui comme avec un vieil ami. Il nous arrivait souvent de ne pas saisir du premier coup ce qu'il tâchait de nous dire. Alors, avec la plus grande patiente du monde, il reprenait en ajoutant le geste au verbe. Par dessus tout, il aimait rire et participait de bon coeur aux taquineries que les membres de l'équipe prenaient plaisir à s'adresser les uns les autres. Le soir avant le coucher, accompagné du chef-cuisinier, il apportait l'eau bouillie dans la tente cuisine et remplissait nos gourdes en nous recommandant de boire beaucoup pour empêcher la déshydratation.

Dévoué à une cause

Babu était-il passionné par la montagne ? Certes, il aimait la montagne. Mais, la montagne était d'abord son métier. Ce qui lui tenait le plus à coeur, c'était l'éducation des enfants. Déplorant ne pas avoir reçu une meilleure instruction, il souhaitait davantage pour les enfants sherpas. Son rêve : bâtir des écoles dans le Solu-Khumbu. Babu s'engagea donc dans cette cause qui devint l'une de ses priorité. Il s'impliqua personnellement dans la construction d'une première école dans son village de Chhulemu, un projet dont il était très fier. Puis, il entreprit de construire d'autres écoles.

Parti beaucoup trop tôt

Ses projets resteront malheureusement en plan. Le 29 avril 2001, vers 16h00, alors que le groupe d'alpinistes qu'il pilotait sur l'Everest se reposait au camp II, Babu s'éloigna pour aller prendre des photos. Inquiets de sa longue absence, les membres de l'équipe partirent à sa recherche. Ils le trouvèrent vers minuit, gisant mort au fond d'une crevasse. Sous ses pas, un pont de neige dissimulant une crevasse s'effondra, provoquant sa chute. Babu n'avait que 35 ans.

Cette nouvelle m'a évidemment fait l'effet d'un choc. Combien de fois me suis-je demandé comment un guide de haute montagne du calibre de Babu avait-il pu ainsi se laisser piéger par elle. Je n'ai eu comme réponse que la vague impression que périodiquement, l'Everest nous rappelle qu'il demeure fondamentalement invaincu et indomptable. Que personne ne peut prétendre à l'immunité. Même pas ceux qui, en le côtoyant année après année, ont tâché d'apprendre à le connaître et à composer avec lui. Même pas les meilleurs d'entre tous.

Je rends hommage à Babu Chhiri Sherpa, l'homme dévoué, déterminé et engagé qui s'est surpassé sur la montagne, mais surtout à l'homme au coeur débordant de générosité, désireux d'assurer un meilleur avenir aux enfants de sa communauté. Un bien grand petit bonhomme que ce Babu.

 

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