Himalaya du Népal

 

 


Sauvetage sur l'Everest...
une question éthique

La communauté du mountaineering a été horrifiée par l'histoire racontée par Mark Inglis, un double amputé aux jambes en carbone, membre d'une expédition qui a poursuivi l'ascension de l'Everest malgré la présence sur sa route d'un grimpeur agonisant à quelques centaines de mètres du sommet.

Tragédie sur l'Everest :
David Sharp meurt dans l'indifférence

David Sharp, un grimpeur britannique, est mort sur l'Everest le 15 mai 2006. Les circonstances entourant son décès n'ont été connues que le 23 mai, lorsqu' interviewé sur son propre succès, Mark Inglis a lâché le secret jusqu'alors bien gardé...

« Il était en piètre état. Nous avons discuté de ce que nous pouvions faire pour lui et ce fut une décision difficile. Environ quarante personnes sont passées près de lui ce jour là et aucun grimpeur ne lui est venu en aide à part notre expédition. Nous étions parmi les premiers à croiser sa route. Il n'avait plus d'oxygène, plus de gants. Nos Sherpas lui ont donné de l'oxygène. Il n'était pas membre de notre expédition. J'ai communiqué avec Russel Brice, responsable de notre expédition au camp de base, qui nous a répondu que nous ne pouvions plus rien faire pour lui, qu'il était là depuis plusieurs heures sans oxygène et qu'il était à toutes fins pratiques déjà mort ».

Il s'avéra effectivement que quelques expéditions étaient à l'oeuvre sur la montagne ce jour là. Au moins une trentaine de grimpeurs, en route pour le sommet, ont croisé David Sharp. Tous savaient que si rien n'était tenté immédiatement, l'état de David Sharp se détériorerait rapidement, entraînant sa mort. Pourtant, à l'exception d'un Sherpa qui lui donna son oxygène et tenta sans succès de l'aider à redescendre, alors que Sharp ne cessait de répéter qu'il voulait dormir, tous poursuivirent leur ascension vers le sommet, laissant derrière eux dans la death zone, un homme agonisant.

Aucune trace de la communication entre Mark Inglis et le camp de base n'a été retrouvée. La version des faits fournie par le responsable de l'expédition, dont faisait partie Inglis, a été contredite par plusieurs grimpeurs. Quant au silence de l'expédition turque ayant également traversée la death zone ce jour là, il fut malgré tout éloquent ! Aussi, faut-il reconnaître à Mark Inglis le courage d'avoir pris la parole.

La loi du silence ayant failli, une onde de choc frappa de plein fouet toute la communauté du mountaineering. Edmund Hillary, premier vainqueur de l'Everest, a questionné l'attitude de Mark Inglis et des autres. Les gens ont complètement perdu de vue ce qui est vraiment important et les difficultés que posent l'ascension de sommets en haute altitude n'est pas une excuse valable a-t-il déclaré. Juan Oiarzabal, 21 fois vainqueur d'un 8 000 mètres, déclara pour sa part que la solidarité n'existe plus sur l'Everest. La plupart des grimpeurs qui tentent l'Everest ne savent pas ce que représente l'ascension d'un 8 000 mètres. Ils paient non pas pour une ascension mais pour un sommet. L'atteinte du sommet devient leur seule priorité. Là-haut, chacun se concentre sur sa propre progression, poursuivant égoïstement son but.

D'autres sons de cloche se sont fait entendre. Les uns insistant sur les difficultés et les dangers que présente l'ascension de l'Everest et la responsabilité de chacun envers sa propre sécurité d'abord. Les autres faisant valoir que plusieurs sauvetages ont été réalisés sur l'Everest et que la véritable question ne consistait pas à évaluer les chances de réussir le sauvatage mais plutôt la volonté d'essayer même dans les situations les plus désespérées.

Miracle sur l'Everest :
Lincoln Hall sauvé par solidarité

Le 25 mai 2006, au plus fort du débat, Alexandre Abramov annonce le décès de Lincoln Hall. Son rapport est explicite. À 8 800 mètres, deux Sherpas ont communiqué avec Abramov pour lui faire part que Lincoln Hall avançait de plus en plus difficilement, devenait confus et manquait de coordination. Les Sherpas ont tenté de redescendre avec Hall. Après une dizaine d'heures d'effort, Hall s'est effondré. N'observant aucune réaction chez Hall pendant un bon moment, ils ont conclu au décès.

Le lendemain matin, le grimpeur Dan Mazur et un Sherpa, en route pour le sommet, réalisent que Lincoln Hall est fort mal en point mais encore vivant. Ce qui tient déjà du miracle. Mazur communique la nouvelle au camp de base. Dans un effort conjoint peu commun, quelques dizaines de Sherpas, toutes expéditions confondues, convergent en toute hâte vers le lieu de la tragédie tandis que Dan Mazur et son sherpa tentent l'impossible pour maintenir Hall en vie jusqu'à l'arrivée des secours. Malgré une situation semblant tout à fait désespérée, après autant de temps passé dans la death zone, Hall est sauvé in extremis grâce à la solidarité des gens à l'oeuvre sur la montagne ce jour là. Dan Mazur et son sherpa ont manqué de peu le sommet de l'Everest mais ont contribué au sauvetage d'une vie en posant un geste exemplaire. Ces deux grimpeurs ont agi en inversant l'équation. Aucun sommet, fut-il celui de l'Everest, ne mérite le sacrifice d'une vie. Il y a plusieurs années, le grand historien de l'Everest, Walt Unsworth, écrivait... « L'Everest peut faire surgir chez les hommes, le meilleur comme le pire ». Le printemps 2006 lui a encore une fois donné raison.

Le débat plutôt que la loi du silence

Questionné sur la tragédie de David Sharp, Carlos Pauner, alpiniste chevronné, tente de faire la part des choses. L'avènement des expéditions commerciales a fait en sorte que la plupart des grimpeurs qui tentent le sommet de l'Everest de nos jours sont inexpérimentés en haute altitude. Ils n'y vont pas pour le plaisir de l'ascension mais pour réussir le sommet. Dans la death zone, ils sont insécures, souvent même terrifiés et incapabless de prendre des décisions par eux-mêmes. En outre, les « touristes de l'Everest » ont dépensé des dizaines de milliers de dollars dans leur aventure. Dans de telles circonstances, ils sont peu enclins à sacrifier le sommet pour venir en aide à une personne qu'ils ne connaissent pas. Il en va heureusement autrement chez les grimpeurs d'expérience davantage habitués à l'échec et qui pratiquent l'alpinisme pour le plaisir de grimper.

Tina Sjogren, une alpiniste connaissant bien l'Everest, a tâché pour sa part de contexter la mort tragique de David Sharp et d'en tirer des leçons. Le monde célèbre de plus en plus la force et la réussite. La prochaine étape consistera-t-elle à sacrifier les plus faibles ? Si un grimpeur est membre d'une expédition moins professionnelle, n'a plus d'oxygène, n'a pas de gants et se retrouve en difficulté, mérite-t-il de mourir questionne-t-elle ? Trop d'expéditions commerciales « cachent » les corps et contrôlent l'information par souci de rentabilité. La simultanéité de la mort affreuse de David Sharp et du sauvetage miraculeux de Lincoln Hall au printemps 2006 sur l'Everest n'est peut-être pas fortuite, se questionne-t-elle ! C'est un avertissement. La loi du silence doit être combattue. La question éthique doit être débattue, conclut-elle !

Sources des infos
MountEverest News
EverestNews

 

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