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Nomadisme en Himalaya

Le nomadisme pastoral est le mode de vie traditionnel pratiqué sur le haut plateau tibétain. Les bergers nomades n'y ont pas de véritable domicile fixe. Un certain nombre de familles, regroupées en petite communauté, se déplacent généralement d'un campement principal vers des campements secondaires établis au milieu des hauts pâturages. Ils vont de l'un à l'autre en obéissant à un cycle plus ou moins saisonnier selon la disponibilité de l'herbe pour nourrir leurs troupeaux de yacks, de chèvres ou de moutons. Les bergers nomades procèdent à des échanges commerciaux avec des commerçants pour écouler la laine, vendre les bêtes destinées à la boucherie et se procurer les céréales et autres biens nécessaires à leur quotidien. Ce mode de vie a peu évolué au fil du temps.

Mode de vie en déclin

Depuis la dernière moitié du XXe siècle cependant, l'accélération du changement, observable dans presque toutes les sphères de l'activité humaine, se manifeste là aussi. Les études, recherches et documents mentionnés ci-après, n'ont pas pour but de présenter une documentation exhaustive de ce mode de vie, loin s'en faut. Ils visent simplement à témoigner de différents visages du nomadisme sur les hauts plateaux himalayens.

Plateau tibétain

Famille nomade à Tingri | Plateau tibétain

Changtang

Le Changtang (Chang Thang), recouvre la partie occidentale du haut plateau tibétain. C'est une vaste région aride qui chevauche à l'ouest les hauts plateaux du Ladakh et s'étire sur une longueur de 1 600 km jusqu'à la province chinoise du Qinghaï à l'ouest et au désert du Taklamakhan au nord. Son altitude varie entre 4 200 mètres et 5 500 mètres. Le Changtang héberge une population estimée à environ 500 000 nomades (changpa pour gens du nord ou drukpa pour nomades) vivant du nomadisme pastoral.

La partie la plus septentrionale  du Changtang occidental est une région sauvage peu habitée. L'explorateur Michel Peissel la décrit ainsi. Un territoire « si sauvage et difficile d'accès qu'une douzaine d'Européens à peine y ont pénétré. Il est pratiquement inhabité, si bien que l'on peut marcher pendant deux mois dans cette région sans croiser un seul être humain. C'est le plus haut territoire de la planète, et la deuxième plus grande zone écologique vierge, après l'Antarctique. Pour les Tibétains, son nom, qui signifie "plaine du nord", est synonyme d'effroi. Seuls les nomades les plus hardis se risquent à chasser sur ces terres glacées ».

Avant l'arrivée des Chinois en 1959, d'immenses terres au Changtang appartenaient au Panchen Lama, le deuxième dignitaire de la hiérarchie religieuse du Tibet. Ces terres étaient divisées en groupes de pâturages nommément identifiés dont chacun était attribué à une famille. Tout comme les cultivateurs des basses vallées, les nomades étaient héréditairement liés à leur seigneur. Ils ne pouvaient décider d'aller vivre ailleurs, suivant en cela le modèle d'organisation sociale féodal du Tibet de l'époque.

Les serfs nomades

Les nomades, propriétaires de leurs troupeaux, devaient payer des taxes à leur seigneur proportionnellement à la dimension de leurs troupeaux. À tous les trois ans, les troupeaux faisaient l'objet d'un recensement et les pâturages étaient réalloués. Les familles dont les troupeaux avaient augmenté se voyaient attribuer des pâturages additionnels au détriment de celles dont les troupeaux avaient diminué.

Les communes nomades

Selon une étude réalisée en 1986 par Melvyn C. Goldstein et Cynthia M. Beall (1990) à Phala, situé à 500 km au nord de Lhassa (Tibet), les Chinois remplacèrent ce système par l'instauration de communes entre 1968 et 1970. Privées désormais de leur droit de pratique religieuse, les familles nomades furent obligées d'assister à des séances d'éducation populaire visant à discréditer les coutumes traditionnelles tibétaines. Elles continuèrent à nomadiser sur les pâturages mais perdirent le contrôle de leurs troupeaux au profit de la commune. Ces familles se virent octroyer une part des propriétés de leur commune. Leur travail (conduite des troupeaux, tonte des bêtes, traite des dris) était converti en points servant au calcul de leur rémunération, pour la majeure partie versée en denrées (céréales, thé, épices). Ignorant tout de la mentalité et des traditions culturelles des nomades, les Chinois connurent un échec sans appel. La politique chinoise parvint, de peine et de misère, à atteindre les quotas de production fixés mais était en train de détruire la culture et le mode de vie pastoral des nomades tibétains. Ceux-ci, appauvris et privés de liberté, jugeaient leurs conditions pires que celles qui prévalaient sous le régime de servage de l'ancienne société. Le démantèlement de la « bande des quatre » à Pékin mit fin à la Révolution culturelle chinoise et à ses excès. Les communes furent abolies. Les Chinois ont alors réintroduit la notion de propriété des troupeaux et réinstaurèrent l'ancien système d'allocation des pâturages.

Les nomades Sengo

Dans son livre « Le dernier horizon : à la découverte du Tibet inconnu », l'explorateur Michel Peissel (2001) décrit un type de nomadisme que l'on pourrait qualifier de « primitif ».

Selon Peissel, les   chasseurs-éleveurs Sengo, rencontrés lors de son périple de 2 500 km l'ayant conduit aux confins du Changtang, constituent « la tribu la plus isolée du Tibet, les derniers héritiers des chasseurs néolithiques, les derniers nomades tibétains à vivre en harmonie totale avec la nature ». Le mode de vie de ces nomades n’aurait guère subi de changements depuis les débuts de la domestication des moutons et des yacks.

En contrepartie d'une stricte conformité aux traditions qui caractérisent ce mode de vie ancestral, « ils jouissent d’une autonomie totale, ne reçoivent d’ordres de personne et font peu ou prou ce qui leur plaît », écrit Peissel.

La description détaillée qu'il fait du mode de vie des Sengo correspond à celle d'un nomadisme primitif quasi intact... peut-être un peu idéalisé : organisation sociale basée sur la famille et le clan; complémentarité des rôles masculins et féminins;  égalité des sexes; absence de stress et sérénité face à la vie;  culte des ancêtres; maintien des traditions; mariage par enlèvement non violent solidifiant la structure clanique de cette société.

Cette description est à tout le moins cohérente avec le Changtang éloigné et sauvage que Peissel découvre au cours de son expédition.  « Le Changtang n'est pas seulement une étonnante réserve d'animaux sauvages, mais aussi, peut-être, le paradis perdu de mes rêves d'enfant, situé aux portes de la préhistoire. »

Conscient que le nomadisme pratiqué par les Sengo était voué à disparaître, Michel Peissel croyait que son expédition au Changtang constituait l’une des dernières chances d’observer et d’étudier des coutumes et des comportements qui remontent à l’âge de pierre. Qu'en est-il aujourd'hui de ce mode de vie ancestral préservé des ravages du temps ?

Qinghaï

Le Qinghaï recouvre la partie orientale du haut plateau tibétain. Il jouxte la Région autonome du Tibet au sud-ouest, le Sichuan au sud-est, le  Gansu au nord-est, la Région autonome du Xinjiang au nord-ouest. Le Qinghaï est traversé par les chaînes Tanggula et Kunlun. Son altitude moyenne est de 3 000 mètres. Les fleuves Yangtze, Mekong  et Huang He (fleuve jaune) y prennent leur source. Sa capitale est Xining. Il compte 5,2 millions d'habitants dont 54% de Han (Chinois d'origine), 21% de Tibétains et 16% de Hui.

Depuis l'an 2000, plusieurs politiques chinoises ont été mises en place dans le cadre d'un vaste programme de développement de l'ouest de la Chine, incluant la Région autonome du Tibet et les régions tibétaines historiques annexées au provinces chinoises du Qinghaï du Gansu, du Yunnan et du Sichuan.

En vertu de ces politiques, des dizaines de milliers de nomades tibétains ont été déplacés par la force vers des zones urbaines et des terres agricoles. De nombreux bergers ont été contraints d’abattre leur bétail et de déménager dans des colonies de logements nouvellement construits, sans avoir été consultés ni indemnisés adéquatement.

Pour justifier ces relocalisations massives, la Chine invoque la nécessité de protéger des écosystèmes fragilisés par le déplacement continuel des nomades et d'améliorer les conditions de vie de populations vivant en marge du progrès en les intégrant à la nouvelle économie de marché. Plusieurs auteurs y voient plutôt une volonté du régime de soumettre d'importantes populations au contrôle du pouvoir central. De surcroît, des populations chez lesquelles les traditions culturelles tibétaines restent fortement enracinées.

Dans un rapport publié en juin 2007, Human Rights Watch déplore que ces relocalisations forcées détruisent non seulement les moyens de subsistance et le mode de vie traditionnel des nomades mais violent leurs droits en leur refusant l'exercice de tout recours pour obtenir réparation à l'égard des torts causés.

Depuis 2000, on estime à environ 700 000 le nombre de nomades tibétains qui auraient été relocalisés par les autorités chinoises. Cette relocalisation des nomades se poursuivrait toujours. 

Le mode de vie des bergers tibétains en danger

Ladakh

La situation sur les hauts plateaux du Ladakh (Inde du nord) est différente. Des communautés nomades font face à l'exode. Cet exode n'est aucunement lié à une politique gouvernementale de réinstallation coercitive, comme en témoigne un film documentaire récent réalisé par Marianne Chaud, une cinéaste-ethnologue parlant la langue des Karnak-pa, les gens du Karnak.

Au Karnak, les nomades vivant dans des conditions extrêmement rigoureuses, surtout pendant la saison froide, sont de plus en plus interpellés par le confort et les opportunités qu'offrent la ville. À chaque année, de nombreuses familles vendent leurs troupeaux et quittent les hauts plateaux pour aller mener une vie sédentaire à la ville.

Le phénomène est pour une large part générationnel. Les jeunes familles semblent plus perméables aux valeurs associées à la modernité, telles l'éducation des enfants, un plus grand accès aux biens de consommation, une meilleure sécurité pour les vieux jours. L'attachement au terroir et au mode de vie ancestral n'empêche pas ceux qui restent de reconnaître que leur communauté se fragilise peu à peu. Faut-il rester ou partir ? Tel est le propos de ce film documentaire superbement réalisé par Marianne Chaud.

La nuit nomade

Bande-annonce du film documentaire « La nuit nomade » Vidéoclip

 

 

 

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