L'avenir du Tibet
Nous sommes forcés de constater aujourd'hui que la cause du Tibet a peu progressé malgré l'énorme sympathie dont elle fait l'objet sur les tribunes internationales. À ce jour, toutes les interventions de la République populaire de Chine, et mêmes celles de la Chine nationaliste, semblent témoigner du refus des Chinois au regard de la remise en question de leur politique concernant le Tibet. Plusieurs tibétologues croient cependant que la culture tibétaine est profondément enracinée. Le Tibet ethnique possède tous les attributs d'une nation : un territoire bien délimité malgré les artifices introduits par l'occupant, une culture distincte, une population qui s'identifie à ses spécificités. C'est pourquoi, à ce jour, toutes les initiatives chinoises visant à assimiler le peuple tibétain ont produit l'effet contraire. À moyen terme cependant, la colonisation du Tibet représente un réel danger. Qu'adviendra-t-il des Tibétains lorsque les Chinois seront majoritaires au Tibet ?
Résistance à l'assimilation
Tandis que de nombreux Tibétains refusent d'admettre que les Chinois resteront au Tibet, les Chinois ont l'assurance que les Tibétains se laisseront tenter par le profit et abandonneront leurs revendications autonomistes et leurs traditions culturelles. Tandis que les populations nomades des hauts plateaux restent profondément attachés à leur mode de vie traditionnel, certains Tibétains des zones urbanisées au Tibet cental abandonnent effectivement leur mode de vie traditionnel pour devenir commerçants ou employés civils. Mais ce ne serait pas le cas d'une majorité. Qui plus est, une partie de la nouvelle richesse de ces Tibétains est, semble-t-il, consacrée à faire revivre leur religion et leur langue par la restauration de temples et de stupas et la construction d'écoles privées enseignant la langue tibétaine. Malgré la nécessité de parler chinois pour faire des affaires et transiger avec l'administration, ces Tibétains résistent à l'assimilation en s'appuyant sur leur religion, pivot de la société et de la culture tibétaine. Les moines constituent une composante significative de la société pour ce qui a trait au maintien et à la sauvegarde de la culture tibétaine.
Animosité inter-ethnique
Afin d'insuffler un regain d'énergie à une économie stagnante et d'encourager le peuplement de territoires presque vides, la Chine consent d'énormes investissements pour améliorer le réseau routier des provinces occidentales, Tibet inclus. Mais les Chinois sont réticents à venir au Tibet en raison de la dureté du climat et de l'inhospitalité des Tibétains à leur endroit. Même si de plus en plus, Tibétains et Chinois font des affaires, l'animosité entre les deux communautés est partout palpable. Les premiers ne comprennent pas qu'ils ne sont pas accueillis à bras ouverts alors qu'ils apportent la civilisation sur ces terres pauvres et arides. Les seconds n'admettent pas cette usurpation de leur territoire par des gens qu'ils jugent cruels et irrespectueux de leur culture.
Amélioration du niveau de vie
Les Tibétains semblent reconnaître que leur niveau de vie s'est amélioré depuis l'arrivée des Chinois. Ces derniers ont construit des écoles, des hôpitaux, ont amélioré le réseau routier et aménagé des aéroports. Mais ils soupçonnent les Chinois de développer le Tibet pour mieux exploiter ses ressources naturelles. Et ils observent aussi que, tout en permettant la pratique religieuse, ils interdisent aux enfants d'entrer dans la vie monastique avant l'âge de 18 ans et interviennent dans les monastères pour faire de l'éducation patriotique en accusant le Dalaï Lama d'être un ennemi de la Chine, un dangereux séparatiste.
Indépendance ou autonomie
Tradition et changement semblent donc cohabiter au Tibet. La plupart des auteurs consultés reconnaissent que les Tibétains semblent partagés entre ces deux pôles. Plusieurs reconnaissent les progrès réalisés sous l'administration chinoise. Peu d'entre eux souhaite revenir à l'ancienne théocratie. Une forte majorité désire le départ des Chinois et surtout le retour du Dalaï Lama dans un Tibet véritablement autonome.
Le Dalaï Lama reconnaît toutefois que la libération du Tibet par la Chine n'est pas un objectif réaliste. Tous les Chinois, tant communistes à Pékin (Beijing) que nationalistes à Taïwan, considèrent le Tibet comme partie intégrante de la Chine. Il table toutefois sur le fait que, pour réussir à s'intégrer complètement dans le concert des nations, la Chine devra nécessairement aligner sa politique intérieure sur celle des grandes nations, laquelle devrait se traduire par un plus grand respect des droits de l'homme. Les nombreux appels de la communauté internationale en faveur d'un plus grand respect des droits de l'homme et d'une plus grande autonomie du Tibet se multiplient. La Chine, engagée sur la voie de la libéralisation économique, pourra-t-elle encore longtemps accuser une fin de non-recevoir à ces appels en affirmant que cette question en est une de politique intérieure qui ne concerne qu'elle ?
Dans son allucution du 10 mars 2003 commémorant le soulèvement de Lhassa (1959) contre l'occupation chinoise, le Dalaï Lama a réaffirmé son engagement à l'effet de ne pas réclamer auprès de la Chine, l'indépendance politique du Tibet. Prônant une « voie médiane », il propose une solution visant à donner aux Tibétains, une autonomie véritable qui « préserve leur identité, valorise leur héritage religieux et culturel et protège le fragile environnement du plateau tibétain ». En outre, il a réitéré son intention de n'exercer aucune fonction politique dans un Tibet véritablement autonome. Bien au contraire, il dissoudra le Gouvernement du Tibet en exil et prônera l'instauration d'un système de gouvernement laïc et démocratique, étant assuré qu'aucun Tibétain ne souhaite voir restaurer l'ancien ordre social.
Tentative de rapprochement
Une véritable négociation entre les autorités tibétaines et le pouvoir chinois est-elle encore possible ? En septembre 2002, une délégation d'envoyés du Dalaï-Lama s'est rendue à Pékin en vue d'amorcer un dialogue avec les autorités chinoises sur la question tibétaine. Samdhong Rimpoche, Premier ministre du gouvernement tibétain en exil, s'est dit optimiste, dans un premier temps, quant aux perspectives de négociations avec Pékin. Plusieurs rencontres ont eu lieu depuis mais n'ont donné aucun résultat tangible.
Émeutes et manifestations
La situation s’est détériorée en 2007. Plusieurs chancelleries ont reçu officiellement le Dalaï Lama et ont appuyé sa lutte pacifique pour obtenir une plus large autonomie culturelle pour le Tibet. La Chine a menacé de représailles les gouvernements qui ont accueilli le chef spirituel des Tibétains et a durci le ton envers le Dalaï Lama, qualifié de « séparatiste ». Au Tibet, les mesures de contrôle se sont multipliées, ciblant notamment les monastères bouddhistes, placés sous haute surveillance.
Le 14 mars 2008, à cinq mois des Jeux olympiques de Pékin, des émeutes ont éclatées à Lhassa. Amorcées par des moines tibétains le 10 mars, jour anniversaire du soulèvement de Lhassa en 1959, les marches d’abord silencieuses ont dégénéré en révolte qui a fait plusieurs morts, lorsque la population tibétaine locale a emboîté le pas pour manifester sa colère. Les troubles se sont étendus aux provinces chinoises du Gansu, du Sichuan et du Qinghai, provinces adjacentes au Tibet (anciennes provinces tibétaines du Kham et de l'Amdo) où vivent d’importantes communautés tibétaines. Le régime chinois a déployé l'armée et s'est empressé de fermer le Tibet aux étrangers, y compris aux journalistes. Le Tibet a vécu sous la loi martiale, même si non officiellement déclarée. Prétextant que les émeutes avaient été organisées de l'extérieur par la « clique du Dalaï Lama », la Chine a vidé la place pour procéder à une répression à « huis clos », sous la réprobation plutôt timide de la communauté internationale. Plus d'un millier de Tibétains ont été arrêtés et traduits devant les tribunaux. Les monastères ont été bouclés et des campagnes d'éducation patriotique, à l'intention des moines notamment, ont été mises sur pied. Le calme est revenu et le Tibet a été réouvert aux étrangers avant la tenue des jeux Olympiques 2008 à Pékin.
Selon de nombreux observateurs, par delà les revendications traditionnelles des Tibétains au regard de leur souveraineté, les émeutes résulteraient, pour une large part, de la politique chinoise de transfert de population visant à installer de plus en plus de Chinois Han au Tibet, l'ethnie majoritaire en Chine. Cette politique aurait pour effet de faire des Tibétains des citoyens de seconde classe, en les reléguant aux emplois inférieurs sinon au chômage, tandis que les Hans et les Huis (Chinois musulman) monopoliseraient le commerce et les emplois les mieux rémunérés. D'autres facteurs sont aussi avancés : la main-mise de l'État sur la religion; la prépondérance de la langue chinoise au détriment du tibétain; la sédentarisation et la relocalisation des nomades.
Que s'est-il passé au Tibet en 2008 ?