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Exploration de l'Himalaya

Sans doute connu des Occidentaux depuis la grande campagne d'Alexandre le Grand, qui conduisit ses armées jusqu’à l’Hindu Kusch dans les années 300 avant J-C, l'Himalaya n'a cessé de susciter la curiosité mais son exploration fut erratique en raison de la difficulté d'y accéder.

Les missionnaires

Au milieu du XIIIe siècle, le moine franciscain Jean de Plan Carpin séjourne à la cour du khan de Mongolie en Asie centrale. Le récit de sa mission révèle les premières informations sur le Tibet, pays frontalier de la Mongolie. Les jésuites portugais Antonio de Andrade et Manuel Marquez sont les premiers Européens à pénétrer au Tibet. Ils atteignent l’ancien Royaume de Gugé et y fondent une mission à Tsaparang en 1624. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, hormis l’explorateur néerlandais Samuel van der Putte qui séjourne à Lhassa en 1720, et le diplomate écossais George Bogle qui, envoyé par Warren Hastings, gouverneur de l’Inde, rencontre le 6ème Panchen Lama à Shigatse en 17774, ce sont surtout des membres des ordres religieux qui se rendent au Tibet pour y fonder des missions. Certains séjournent à Lhassa, sa capitale, pour y étudier la langue tibétaine. Cependant, les Mandchous, qui exercent une énorme influence auprès de la théocratie installée à Lhassa, incitent les moines tibétains à se méfier des Occidentaux. Les missions ferment les unes après les autres.

Le grand jeu

La véritable exploration du toit du monde commence au XIXe siècle. L’explorateur anglais Thomas Manning, se joignant à une mission chinoise, se rend à Lhassa dès 1812. L’orientaliste Sandor Korosi Csoma séjourne au Ladakh en 1826-1827 et étudie la langue tibétaine. Il rédige en anglais, la première grammaire tibétaine. Les pères Évariste Huc et Joseph Gabet effectuent des missions d’exploration en Mongolie et au Tibet entre 1844 et 1846. Leur récit fait connaître le Tibet en France. Les travaux réalisés par Georges Everest entre 1830 et 1843 révèlent que la chaîne himalayenne abrite les plus hauts sommets du monde.

À l’époque, la Compagnie des Indes orientales britanniques, extrêmement puissante dans le sous-continent indien, cherche à développer de nouveaux marchés depuis l’Inde du nord. En 1858, ses possessions sont transférés à la couronne britannique qui institue l’Empire britannique des Indes (Raj britannique). Le Raj, s’étendant déjà sur l’Inde, le Pakistan, le Bengladesh et la Birmanie, poursuit néanmoins les visées expansionnistes de la défunte Compagnie. Depuis le traité de Sugauli, mettant fin à la guerre anglo-népalaise en 1816, les Britanniques disposent déjà d’un résident à Katmandou pour surveiller la politique étrangère du Népal. L’influence des Britanniques s’étend donc jusqu’à la frontière sud du Tibet.

Mais ce pays est désormais interdit aux étrangers. En effet, sous la forte pression de la Chine, qui considère le Tibet comme un protectorat, ce dernier ferme ses frontières vers 1850. Point de soldats ni de postes frontières. Mais malheur à celui qui aidera l'étranger à entrer au pays et à poursuivre sa route en lui fournissant gîte et victuailles. La dénonciation auprès des chefs locaux est de rigueur. Les Britanniques font donc appel à des surveillants-espions déguisés en pèlerins tibétains pour ratisser le pays en secret et cartographier plusieurs de ses régions.

La Russie des Tsars a aussi des visées expansionnistes dans la région. Elle voudrait repousser ses frontières en Asie centrale vers le Tibet. Elle met sur pied et finance une mission qu’elle confie au colonel russe Nicolaï Prjevalski. Entre 1870 et 1888, Nicolaï Prjevalski sillonne le pays, collecte des informations et parvient à s’approcher de Lhassa à deux reprises sans toutefois réussir à y entrer.

Les explorateurs

Vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, quelques explorateurs, géographes, naturalistes et diplomates explorent diverses régions du toit du monde et y glanent des informations intéressantes. Isabella Bird traverse le Ladakh (1889). Gabriel Bonvalot (1890), Hamilton Bower (1892), M. Wellby (1896) explorent des parties du plateau tibétain. Annie Royle Taylor tente de gagner l'Inde depuis la Chine en passant par Lhassa mais elle est refoulée à quelques jours de marche de la cité interdite (1892-1893). Jules Léon Dutreuil de Rhins et Henri d'Orléans explorent la région du lac Namtso (1893). Pierre Jean-Marie Delavoy, botaniste, effectue des recherches sur le plateau tibétain et décrit plusieurs espèces de plantes indigènes (1895). Henry Hugh Deasy fait une incursion au Changthang (1897). Le Suédois Sven Hedin organisent plusieurs expéditions en Asie centrale. Il explore le bassin de Tarim, la chaîne des Kunlun et le désert de Taklamakan (1894-1897). Il tente de rejoindre Lhassa par le nord en traversant le plateau tibétain mais il est expulsé du Tibet (1899-1902). Il pénètre à nouveau en fraude au Tibet, est invité par le Panchen-Lama à Shigatse et explore le Transhimalaya dont il s'attribue la découverte (1905-1908). Hedin poursuivra ses expéditions en Asie centrale jusqu'en 1935.

Les militaires

À la suite d’un différend frontalier entre le Sikkim, sous protectorat britannique depuis 1861, et le Tibet, les Britanniques trouvent enfin le prétexte pour étendre leur hégémonie sur le pays interdit. Le lieutenant-colonel Francis Younghusband y mène une expédition militaire en 1903-1904. Son armée massacre les troupes tibétaines venues stopper sa progression près de Gyantse. La route de Lhassa est ouverte. Outrepassant les instructions de Londres, la campagne de Younghusband devient une invasion et une occupation de facto. Le traité de Lhassa en 1904 met fin à l’occupation. Les Britanniques prévoient une clause obligeant le pays à demeurer fermé aux étrangers, clause qui souffre d'une seule exception évidemment.

Les orientalistes

Alexandra David-NéelLes passionnés d’études orientales commencèrent tôt à s’intéresser au Tibet. Certains d’entre eux contribuèrent de manière significative à lever le voile sur les cultures empreintes de mysticisme et les modes de vie, préservés du temps, des peuples vivant retranchés derrière la grande muraille de l'Himalaya.

Déguisée en mendiante tibétaine, l’exploratrice française Alexandra David-Néel (ci-contre) parvient à gagner Lhassa en 1924. Elle gagne la confiance de plusieurs moines tibétains de haut rang et peut parcourir le pays à sa guise. Elle publia quelques ouvrages décrivant de nombreux aspects de la culture tibétaine.

En 1927, l’archéologue italien Giuseppe Tucci commence une étude sur le Tibet qui durera 20 ans. Parcourant quelques milliers de kilomètres à pied, il relatera dans ses livres de nombreux aspects de la culture et de la religion tibétaines. Les oeuvres de ces orientalistes constituent des références incontournables pour qui veut approfondir ses connaissances du Tibet.

La conquête des sommets

Entre 1920 et 1938, les Britanniques organisent plusieurs expéditions pour conquérir l'Everest, toutes infructueuses. Le déclenchement de la deuxième guerre mondiale met fin momentanémenet à cette course. Dès le début de la guerre, l'Autrichien Heinrich Harrer, membre d'une expédition allemande sur le Nanga Parbat (1939) est fait prisonnier en Inde par les Britanniques. Il parvient à s'échapper, franchit l'Himalaya, gagne le Tibet interdit et atteint Lhassa en 1946 où il séjourne jusqu'en 1951 et devient l'ami du jeune Dalaï-Lama. Son épopée, relatée dans « Sept ans d'aventure au Tibet », est un succès planétaire. Publié à 4 millions d'exemplaires en 1952 et traduit en 53 langues, ce livre fait connaître le Tibet qui vient d'être annexé par la Chine. Au même moment, les conquêtes fortement médiatisées de l’Annapurna (1950) et de l’Everest (1953) révèlent l'Himalaya aux yeux du grand public.

La dernière exploration

Au cours de la dernière moitié du XXe siècle, le pouvoir d'attraction du Tibet opère toujours auprès des « découvreurs » dans l'âme. Pendant 40 ans, l'explorateur-ethnologue Michel Peissel, convaincu qu'il existait, quelque part au-delà de l'horizon, un paradis perdu, un monde meilleur préservé des ravages du temps, sillonnera le Tibet en quête  de royaumes  inconnus. Cette quête s'achèvera en 2000 lorsqu'il réussira à mettre sur pied une traversée du nord-ouest du Changthang en empruntant un itinéraire vierge. Un périple de pas moins de 2 500 km sur les traces des Sengo.  Dans « Le dernier horizon » (2001), Peissel décrit la vie de ces « chasseurs-éleveurs nomades, la tribu la plus isolée du Tibet, les derniers héritiers des chasseurs néolithiques vivant en parfaite harmonie avec la nature, les nomades les plus hardis qui se  risquent à chasser sur les terres glacées du Changthang ». Contrairement au Shangri La de James Hilton (The Lost Horizon), son récit n'est pas imaginare. Peissel a rencontré les Sengo et a observé leurs moeurs. Sans doute influencé par l'idée d'un « paradis perdu », sa description de cette communauté n'est pas neutre. Elle reflète une conception quelque peu idéalisée des sociétés dites « primitives », une vision nostalgique, sinon critique de ce qu'a perdu l'Occident en s'industrialisant et en se développant. Le dernier explorateur du XXe siècle a cependant le mérite d'avoir témoigné de l'existence sur le toit du monde, d'une parcelle d'humanité vivant encore très franchement en marge du progrès, alors même que la civilisation humaine amorçait son passage dans le XXIe siècle.

 

Tibet

Nomades Sengo au Tchangthang

Qu'en est-il de nos jours ?

Les explorateurs et les orientalistes ont attiré l'attention sur le toit du monde. La conquête des sommets himalayens a popularisé la pratique de l’himalayisme et de la randonnée sportive. Le tourisme d'aventure y a pris son envol. Désormais plus ouverts sur le monde, les pays himalayens reconnaissent l'énorme potentiel de l'activité touristique comme source d'entrée de devises fortes.

Cette ouverture  souffre néanmoins quelques limites. Certaines régions du Népal sont déclarées restricted areas. Des permis spéciaux sont requis pour y entrer, à fort prix d'ailleurs, et la circulation y est fortement encadrée. Le Bhoutan a choisi comme indice de son développement, le bonheur national brut plutôt que son produit national brut. Convaincu de certains effets pervers du tourisme de masse sur l'environnement et la culture nationale, ce pays pratique une politique touristique restrictive et contingentée. Enfin, n’entre pas qui veut au Tibet. En raison de la résistance des Tibétains aux politiques chinoises, perçues comme des mécanismes d'assimilation de cette minorité, la Chine exerce un contrôle implacable sur la Région autonome du Tibet.

L'Himalaya semble bien réticent à se dévoiler complètement. Plusieurs des régions entourant ses hauts sommets sont des no man's land inviolés. L'Everest et plusieurs autres hauts sommets ont été conquis mais jamais vaincus. Ceux qui les gravissent à chaque année savent que leur vie est à la merci de leurs moindres caprices. De même, certains des habitats reculés du toit du monde se révèlent plutôt timidement au regard des étrangers.

Lecture
Sven Hedin - Le Tibet dévoilé
Alexandra David-Néel - Voyage d'une Parisienne à Lhassa
Giuseppe Tucci - Tibet, pays des neiges
Heinrich Harrer - Sept ans d'aventure au Tibet
Michel Peissel - Le dernier horizon

Crédits photo
© Frédérique Darragon

 

 

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