Himalaya du Népal
 

 

 

La polyandrie fraternelle

La monogamie est la forme de mariage la plus usuelle chez les populations de culture tibétaine. La polyandrie, le fait pour une femme d'avoir plusieurs maris simultanément (pluralité de maris), est une forme de mariage peu commune dans le monde. Dans l'aire tibétaine, elle prend la forme de polyandrie fraternelle. Tandis que l'un des fils prend le chemin du monastère, deux, trois et même quatre frères prennent une même épouse et vivent sous le même toit. Si les arrangements pour conclure de tels mariages ne sont pas aussi précoces ni formels qu'auparavant, il est rare que les futurs époux se marient sans le consentement de leurs parents. La polygynie est également pratiquée en certaines circonstances. La polygynie est la forme de mariage adoptée lorsqu'une famille n'a que des filles. Dans ce cas, l'aînée prendra un époux, ou magpa, qui viendra s'installer sur la propriété familiale pour y travailler et procréer. Les soeurs qui ne prendront pas mari deviendront les épouses du magpa et collaboreront aux tâches familiales.

Père et petit père

Dans le cadre du mariage polyandrique, le frère aîné détient généralement l'autorité sur la famille. Tous participent aux activités productives et partagent les faveurs de l'épouse. En certains endroits, lorsque le premier petit-fils naît, une cérémonie souligne le transfert de la propriété aux frères tandis que les grands-parents se retirent dans une maison secondaire sur la propriété et continuent à contribuer aux activités productives de la famille. Les enfants naissant de cette union sont les enfants de tous. Ils appellent le frère aîné « père » et les frères cadets « père-frère ». Au Ladakh, les frères cadets sont appelés « petit père ». Même lorsque l'un des frères se sait le père biologique de l'un d'entre eux, ce-dernier sera traité de la même façon que les autres par tous les « pères ».

Choix ou accomodement

Les populations du haut Himalaya ne semblent pas valoriser en soi le partage d'une épouse ou d'un époux. Interrogées sur les raisons qui les poussent à choisir la polyandrie fraternelle comme forme de mariage, les personnes font valoir des motifs très pratiques : prévenir la division du patrimoine familial, partager le travail et assurer un meilleur niveau de vie.

Les personnes qui choisissent la polyandrie admettent même un certain nombres de problèmes dans cette forme de mariage. Les plus jeunes frères peuvent être amenés à défier l'autorité de l'aîné. L'un des époux peut être indûment favorisé par l'épouse commune. Ce qui engendre des situations conflictuelles au sein de la famille.

Lorsque l'un des frères n'est pas satisfait de l'arrangement, il quitte la maison familiale pour s'installer sur un petit lopin de terre de la famille où il fondera son propre foyer. Les enfants demeurent avec les autres « pères ». Cette solution n'est idéale pour personne car elle a pour effet de fragmenter le patrimoine familial.

Une institution en régression

La polyandrie fraternelle décline dans la plupart des régions de l'aire tibétaine. L'accroissement du tourisme et les emplois créés dans les administrations offrent à plusieurs la possibilité de quitter leurs villages pour aller gagner leur vie en accédant à de nouveaux métiers. Ces nouvelles conditions de vie semblent déterminantes dans leur choix du mariage monogame.

VIDÉOCLIP du National Geographic sur la polyandrie (en anglais)  Vidéoclip 

 

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Le dictat du milieu naturel

Dans la plupart des sociétés de culture tibétaine, chaque fils a droit à sa part du patrimoine familial. Les familles ont donc été confrontées au problème de la division de la propriété entre les enfants. Dans un milieu caractérisé par la rareté des ressources, nous explique Charles Genoud (1989), chaque part du patrimoine familial s'avérait insuffisante pour supporter une famille. Contrairement au mariage monogame, la polyandrie fraternelle permettait de garder intact ce patrimoine tout en constituant une force de travail collectif adapté au mode de vie agropastoral typique du haut Himalaya. Ce mode de vie, axé sur l'agriculture, l'élevage et le commerce, exigeait la réalisation de tâches concurentes et des déplacements fréquents. La polyandrie permettait de répondre au besoin de partage des tâches : accompagnement des troupeaux dans les hauts pâturages l'été, travaux aux champs, déplacement vers les centres de commerce pour la vente des surplus. En outre, la famille pouvait compter sur la présence de l'un des époux au foyer tandis que les autres étaient en déplacement prolongé.

Variations régionales

Ayant étudié les populations bhotias des vallées de Nar et de Phu, situées dans le haut Himalaya népalais, le professeur Christoph von Fürer-Haimendorf, a quant à lui constaté le peu d'attrait des habitants de ces régions pour la polyandrie fraternelle. Pourtant, leur mode de vie est tout à fait semblable à celui des autres populations vivant ailleurs dans le haut Himalaya. Le milieu naturel y est toutefois particulièrement ingrat et ne permet pas une grande exploitation des ressources.

Plus à l'ouest, dans les villages de la vallée de Limi au Népal, le professeur Melvyn C. Goldstein a pu constater quant à lui, que la polyandrie fraternelle était privilégiée comme forme de mariage. Il a observé cependant qu'elle était plus fréquente chez les familles disposant des plus grands troupeaux et des plus grandes terres, les moins nantis optant plus souvent pour le mariage monogame. Ce qui l'amena à conclure que la polyandrie serait, non pas un moyen incontournable de garantir la subsistance, mais plutôt une façon de favoriser la productivité économique et les gains qu'elle procure.

Adaptation au milieu

Quels que soient les motifs invoqués à l'appui du choix de la polyandrie fraternelle comme forme de mariage, sa fonction au plan social semble quant à elle sans ambigüité : la polyandrie ayant pour effet d'accroître le nombre de femmes célibataires, a pour conséquence de limiter la croissance de la population dans un milieu où les ressources sont limitées. En ce sens, cette forme de mariage constituerait un mécanisme culturel d'adaptation au milieu.

 

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